DES PALABRES ET DES ARBRES

Depuis que le jardin est ouvert j’aime le raconter à ses visiteurs : prémices, difficultés d’un sol sec et drainant, solutions apportées à l’absence naturelle d’eau, gammes de végétaux choisis, intentions qui me guident, tout cela alimente mon récit. J’accompagne les visites et les échanges qui en résultent me comblent, je suis devenu incollable sur la chenille du Fenouil ou la taille échelonnée des vivaces !

Mais, palabrant, je m’éloigne de l’entrée qu’il me faut bientôt regagner afin d’accueillir de nouveaux arrivants. Ces moments où j’abandonne les visiteurs se sont révélés très particuliers.

J’ai plusieurs fois perçu comme un soulagement de leur côté. « Enfin seuls ! » semblent me dire leurs regards et leurs voix. Et je me suis souvenu d’avoir très rarement été accompagné lors de mes visites de jardins. Découvrir sans être guidé, s’imprégner doucement et par fragments choisis d’un lieu nouveau est, dans un premier temps, un plaisir plus intense que celui d’en connaître les ressorts.

Ainsi depuis quelques jours, j’ai cessé de prendre en main les visiteurs à leur arrivée. Je leur désigne plutôt trois chemins : « prenez celui qui vous attire davantage, découvrez, sentez, posez-vous un moment afin de mieux entrer en contact avec ce microcosme, nous pourrons en discuter après si vous le souhaitez. » Nouvelle donne. J’y perds, j’y gagne ? On verra.

Dans un coin du jardin un vieux noyer est mort laissant une superbe ramure se découper dans le ciel, comme le ferait un dessin sur le blanc de la page. « Faut l’abattre », disent certains visiteurs ; « Surtout pas », disent les autres. L’avis d’un élagueur éclairé sera nécessaire afin de déterminer l’état des tissus ligneux. Pas question de risquer la chute d’une branche sur le passage des visites, mais faut-il pour autant abandonner au souvenir et même à la photo la beauté remarquable de cet arbre ? Il y a le bois mort, son poids dangereux malmené par le vent, son mûrissement inévitable depuis que la sève n’y circule plus, mais d’une conviction profonde je crois que la beauté de cette dépouille fait aussi partie de sa réalité. Donner raison au couperet des « Faut l’abattre » c’est négliger un aspect déterminant de ce que nous voyons.

Faire un jardin c’est établir une relation de gratitude avec le végétal qui donne sans compter lorsqu’on a su lui trouver sa place et sa nourriture. Aveuglément peut-être, mais sans compter ! Aussi, est-ce par reconnaissance envers cette ramure unique délaissée par la sève, qu’il me faut inventer une nouvelle forme de beauté perpétuant sa présence au monde. Si le geste artistique a une mesure c’est ici qu’elle s’exercera pleinement. J’en parlerai avec les visiteurs laissés à leur libre cours …

… lorsqu’ils auront envie d’en savoir davantage sur le jardin du Revers.

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